Joseph David, dit « Job » fait partie de ces pêcheurs. La soixantaine, presque aussi grand et maigre que sa canne en bambou refendu, il promène sans effort depuis bientôt trente ans, sa grande silhouette le long des rives de l’Ellé et du Scorff.
Bon pêcheur de truites, il ne les recherche cependant jamais avant l’été. Les passionnés du saumon auront déjà compris. Nul poisson ne pourrait remplacer le roi de nos rivières entre le début mars et la mi-juin dans l’esprit et le coeur de Job. Mais ce qui le caractérise le plus, car nous aurons été nombreux à nous reconnaître dans les lignes précédentes, c’est sa façon de traquer le saumon. A la cuiller le jour de l’ouverture, il sort sa grande perche à mouche dès le lendemain…
Pour Joseph David, la pêche à la mouche est en effet le plus sûr moyen pour capturer un saumon. Fermier sur une pêche privée de l’Ellé pendant vingt ans, il pêchait à la mouche pendant que les « monsieurs » recherchaient le poisson royal à la cuiller, au devon ou à la « dormeuse » Les résultats, s’ils étaient égaux en début de saison, le rassuraient sur la supériorité de sa méthode, dès que les eaux baissaient et se réchauffaient. Les captures se succédaient alors, et nous laissent aujourd’hui pensifs et rêveurs… Trente six poissons à la mouche lors d’une de ses meilleures années en ne pêchant que deux jours par semaine. Son record en poids? Dix-huit livres. La capture de ce poisson mérite, je pense, d’être relatée:
C’était un lendemain d’ouverture. La neige recouvrait les rives de l’Ellé et de gros flocons s’arrachaient encore du plafond bas et gris du ciel. Job n’était déjà plus bredouille. Un joli saumon de 15 livres, tout blanc, était passé de vie à trépas, victime d’une mouche de l’Ellé. Joseph crut distinguer devant une grosse pierre qui émergeait de l’eau à cet endroit, le dos d’un poisson, Le saumon, car sans aucun doute il s’agissait bien d’un saumon, ne devait pas être gros d’après le remous qu’il avait causé en disparaissant. Faux lancers pour sortir la longueur suffisante de soie. Premier poser, la présentation est bonne, la mouche arrive sur le poisson. Ce premier lancer était le bon. Le saumon est bien ferré mais sa défense plus que molle conforte le pêcheur dans sa première opinion. Le poisson n’est pas gros. Ce n’est quand même pas un castillon en plein mois de février, pense Job. Ou alors peut-être un vieux? Le pêcheur tire doucement sur la ligne pour amener le poisson à la surface et enfin pouvoir mettre un chiffre sur ce saumon. Une dernière traction alors que la bagarre n’est commencée que depuis à peine une minute fait apparaître sous la surface… un énorme saumon. Maintenant, à la vue du pêcheur, le poisson a réagit. Une heure trente, fertile en rebondissements va être nécessaire à la capture de ce saumon record.
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Si un jour vous le rencontrez sur les rives du Scorff ou de l’Ellé, il vous racontera des dizaines d’histoires comme celle-ci et peut-être celle de ce saumon qu’un de ces amis prit avec une mouche confectionnée avec la mèche de cheveux d’une petite fille…
Joseph David utilise une quatorze pieds en bambou refendu. Certains pêcheurs diront que cette longueur est trop importante pour nos rivières bretonnes. Je le disais moi aussi. Il m’a suffit de voir Job passer sa soie dans des trouées d’arbre de moins d’un mètre pour me rendre compte que ce n’est pour lui pas un inconvénient, bien au contraire…
L’originalité de ce pêcheur hors du commun ne prend pas fin lorsque l’on aborde le problème ô combien épineux du choix des mouches. Comme tous les pêcheurs de cette région, Joseph pense que l’aspect vivant et la taille compte plus que le coloris de la mouche. Sur l’Ellé, on ne jure que par les mouches avec ailes en plumes de paonne et le corps en bourre de sanglier. Sur le Scorff, on ne pêche avec des mouches locales que lorsque le corps est fait de laine jaune et rouge. Les ailes restent constituées de plumes de paonne avec parfois une adjonction de plumes de canard ou de poils d’écureuil.
Job, lui, n’a jamais pêché deux fois avec la même mouche. Il fait naître de ses longs doigts, n’écoutant que sa fantaisie du jour, des mouches aux mariages de constituants et de teintes peu habituelles. Si Joseph David vous fait un jour la joie d’ouvrir son manuel de 1942 où toutes ses mouches sont amoureusement piquées dans les pages, vous pourrez constater qu’aucune ne ressemble à sa voisine.
Plus que toute chose, c’est le travail de la mouche dans l’eau qui importe le plus pour ce pêcheur. Il est tout à fait recommandé de s’arrêter de pêcher pour le regarder opérer. Deux trous ne sont jamais peints par sa mouche de la même façon. Les mouvements qu’il imprime à sa canne dépendent toujours de la configuration du pool. Les mouvements sont soit lents et rythmés, soit rapides et désordonnés. Mais c’est toujours du grand art…
Dire que le succès du grand Joseph ne tient qu’à cela, est peut-être hâtif. En tout cas, ce qu’on peut dire ou écrire c’est qu’il y croit et que tous les ans, de nombreux saumons lui donnent raison.
Je souhaite à tout pêcheur la joie de voir pratiquer Joseph David. Je suis persuadé que vous aurez la satisfaction d’avoir assisté pendant quelques instants à un exercice de grande dextérité.
« Faire bien ce que l’on fait ». Le secret de la réussite. Même au saumon.
Patrick Lebreton.
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